Parler de Mario Scalesi en seulement quelques lignes, ce n’est pas du tout facile à cause de la complexité du personnage. Déjà son nom est souvent déformé, de Scalisi en Mario Scalesi ou encore en Marius Scalési pour les autorités coloniales de l’époque. En effet, le nom Scalisi devient Scalesi probablement pour une mauvaise transcription dès l’arrivée de la famille en Tunisie, comme il était souvent le cas pour les immigrés arrivés à un pays d’accueil.
Etait-il un signe prémonitoire ?
Mario Scalesi est né à Tunis le 16 février 1892 au numéro 31 de la rue Bab Souika, la rue des humbles émigrés siciliens, maltais et pauvres tunisiens, partageant les mêmes conditions de vie et s’exprimant dans un sabir franco-sicilien-arabe, une langue utilisée entre différents locuteurs, parlant différentes langues. Cette langue de la rue sera sa langue maternelle pour le jeune Mario.
Son père Gioacchino, arrivé comme clandestin en Tunisie avec une barque depuis les côtes de Trapani, était sous-officier de la marine italienne, et il avait quitté sa ville natale, après avoir eu des problèmes avec la justice et avec un agent de police. Il s’embarqua alors clandestinement à Tunis, comme une bonne partie de Siciliens de l’époque. La mère, était d’origine maltaise mais de mère italienne, et née aussi à Tunis. Mario grandit avec ses 5 frères dans le quartier populaire de Bab Souika et le père, comme beaucoup d’émigrants siciliens, trouva un poste de cheminot. La mère était une femme de ménage chez une famille française.
A l’âge de 5 ans, Mario tombe de l’escalier de la maison et cet automne sera le début d’une grande souffrance physique, mais surtout psychique. Cet automne représentera pour Scalesi, une mutilation, qu’il n’a certainement pas choisie, et qui l’empêchera pour toujours de jouir du bonheur de la vie :
«… J’allais là-haut chercher des cartes.
Une coutume d’autrefois
Voulait que l’on jouât les tartes,
Les fèves cuites et les noix.
L’escalier était un peu sombre.
Heureux, je rapportais le jeu,
Lorsque mon pied glissa dans l’ombre
Comme je songeais au ciel bleu.
On dit que, fuyant le suaire,
Parfois, la nuit, un trépassé
Hante sa chambre mortuaire
Pour y revivre le passé
Et ces macabres escapades,
Voyez comme on les nie à tort :
Je pense fuir mes pensées malades
Vers l’escalier où je suis mort».
(L’Accident)
Ce sera «une mort pour le présent et une mort joyeuse du corps», dit Scalesi. Ce sera la castration éternelle. Scalesi se replie sur lui-même, trouvant son origine dans un corps «aliéné, méprisé, rejeté» d’un univers affectif qui lui est refusé et en particulier celui de l’amour et de la femme.
Mère nature lui a donné seulement la laideur, un physique ingrat et des formes misérables. Bossu, estropié et boiteux, à la manière de Leopardi, tuberculeux, mis de côté par ses compagnons dès son plus jeune âge, qui l’humilient et se moquent de lui. Les femmes ne l’approchent même pas et ne perdent pas l’occasion de l’humilier. Il sort rarement de la maison, de préférence la nuit, quand il rencontre les fantômes de la haine et le rejet. Scalesi est un vrai maudit, aux marges de la société, rejeté par ses compagnons, ignoré par ceux qui devraient au contraire l’aimer. Et en plus, c’est un être qui est à l’intérieur d’un corps qu’il ne voulait pas. Un corps emprisonné, dans lequel son âme aussi enchaînée fait résonner un cri déchirant de révolte et de désespoir, qu’on remarque dans ses vers poétiques influencés par des poètes mondialement connus comme Charles Baudelaire, bien-aimé oui, mais à un certain moment rejeté.
Mario Scalesi trouvera refuge à la Bibliothèque nationale de Tunis. Il découvrira les œuvres de plusieurs poètes français comme Victor Hugo et Charles Baudelaire, Arthur Rimbaud, Stéphane Mallarmé, qui influenceront grandement la poésie de Scalesi. Il sera considéré comme «un poète maudit» à l’image des «poètes maudits» français.
Les nombreuses souffrances, y compris la tuberculose et la méningite, le mèneront lentement à la démence. Après une courte période d’hospitalisation à l’hôpital Garibaldi à Tunis, il mourra à l’asile de Vignicella à Palerme, à l’âge de trente ans, le 13 mars 1922, «par marasme»: son corps sera jeté dans une fosse commune du cimetière de la capitale sicilienne laissant derrière lui des poèmes sublimes et d’une rare beauté.
Un épilogue plus maudit que cela ne serait pas envisageable. Cette fin tragique, nous la retrouvons dans les vers suivants :
«Je veux dormir parmi les dormeurs ignorés, quelque part, sous la terre, abîmé dans mes rêves (De Profundis)».
Ses poésies, d’une beauté sans pareille, n’ont jamais paru dans une édition trilingue. Il est en préparation donc la publication en tunisien, italien, français de l’œuvre complète de Mario Scalesi dirigée par moi-même.